Avec la fin de la matinée, les rues se vidaient progressivement de leur population, que l'heure du déjeuner appelait ailleurs, laissant à Howe une impression de sérénité comme rarement il en ressentait. Il aimait midi parce que la pression dans les rues diminuaient à cette heure, et il se sentait respirer plus librement. Il savait que les rues vidées de leur monde le rendaient plus repérable, mais il appréciait trop la tranquillité à laquelle il goûtait pour s'en inquiéter. Il avait particulièrement confiance en son déguisement et savait que personne ne douterait de l'identité qu'il affichait en surface, et qui était la seule qui avait de la consistance chez lui. Les bras chargés de parchemin, Howe regagnait son domicile avec la satisfaction d'une matinée bien exploitée. Il avait tartiné des lignes et des lignes de sa plume à papote, des mots bien entendu tout à fait anodins, mais qui avaient du sens pour lui et ceux qui connaissaient son langage, et il attendait d'être chez lui pour mettre tout cela au clair. Il n'y avait probablement pas grand chose d'intéressant dans ses notes, comme toujours, mais une perle pouvait parfaitement s'y cacher, une perle qui n'attendait que d'être découverte par un esprit attentif, et voilà pourquoi il faisait très attention à tout ce qu'il relisait. Il ne lui restait plus grand chose à parcourir, et il avait modérément faim, mais Howe ne pressait pas le pas pour autant. Il n'était pas à une minute près. Bien sûr, le jeune homme ne se doutait pas du tout du piège dans lequel il fonçait tête baissée - s'il avait su qui se présentait vraiment à lui, il aurait été à la fois ravi de voir Atticus venir à sa rencontre et déçu de ne pas pouvoir l'interroger une fois de plus sur sa mystérieuse réapparition que personne, pour le moment, ne comprenait.Il ne se serait en revanche jamais interrogé sur les motivations d'Atticus - tout cela dépassait si largement Howe que l'idée ne pouvait même pas l'effleurer. Une silhouette familière, mais qu'il ne connaissait pas tant que ça, se présenta bientôt sur sa route et, en bon client, Howe s'arrêta pour le saluer. Il vouait une quasi-vénération à ce laitier qui lui fabriquait les meilleurs yaourts de l'Enclave, et quand bien même la profession était loin d'être la plus reconnue parmi la communauté magique, Howe lui accordait un crédit qui dépassait celui que l'on donnait à un héros. C'était son laitier. Il ne le connaissait pas personnellement, mais cet homme était l'une des personnes les plus importantes de sa vie. Alors forcément, Howe allait s'arrêter pour lui parler :
« Vous ici ? s'étonna Howe sans pour autant se méfier. Vous ne quittez pas beaucoup votre boutique, d'habitude. Quel bon vent vous amène ? »
La ressemblance, fruit de la métamorphose, était parfaite. Howe ne pouvait que s'y tromper, et c'est ce qu'il fit. Sans se douter un seul instant qu'un métamorphomage se cachait derrière.
S'il avait dû pointer du doigt l'un de ses points faibles, Howe n'aurait certainement pas pensé que son petit pêché mignon en ferait partie. Le plaisir qu'il retirait à la consommation de yaourt bien fondant lui paraissait être une aimable compensation pour tous les efforts qu'il fournissait au quotidien pour son clan. Mais le peu de joie que lui apportait sa vie le poussait à se réfugier dans ce plaisir-là avec un abandon un peu trop intense et à baisser ses barrières, en croyant naïvement que personne ne s'intéresserait à cet élément somme toute anodin de sa vie privée. Mais naturellement, il se trompait, quelqu'un l'avait vu, quelqu'un qui se méfiait de lui et qui pensait que ses airs innocents cachait un redoutable secret qui devait absolument être découvert. Quelqu'un qui avait le pouvoir de prendre l'apparence de quelqu'un d'autre pour l'approcher en douce et tenter de dévoiler sa véritable identité. Quelqu'un qui lui ressemblait finalement dans cette obsession contagieuse de découvrir la vérité à tout prix. Quelqu'un qui le mettait dans la position où Howe plaçait habituellement ses victimes. Mais quelles raisons aurait-il eu de se méfier ? Si on ne pouvait faire confiance à ce que l'on voyait, la paranoïa devenait telle qu'elle finissait par engloutir tout le crédit que l'on pouvait accorder au monde. Howe n'était pas prêt à cela, et c'est sans doute pour cela qu'il se faisait berner si facilement. Il n'avait pas remarquer le carton que le faux laitier portait à la main, et à l'annonce d'un nouveau parfum, les yeux de Howe se mirent à pétiller de plaisir :
« Un nouveau parfum ? Bien bien, j'ai tellement hâte d'y goûter ! Vous l'avez déjà commercialisé ? Je viendrai dès que je pourrai, bien sûr ! »
Quel contraste avec le profil certes un peu innocent, mais toujours professionnel de Howe que le jeune homme avait lorsqu'il essayait d'interviewer Atticus. Il semblait presque retombé en enfance. L'explication lui aurait suffi, mais le faux laitier le surprit en lui annonçant son intention d'obtenir quelques renseignements sur l'Enclave de sa part. Le comportement aurait pu être suspect : jamais le laitier ne lui avait posé de telles questions jusque là, et comment aurait-il su que Howe passait par là pour rentrer chez lui ? Mais Howe ne songeait pas un seul instant à se méfier, et de telles idées ne lui traversèrent pas la tête. Il crut vraiment que son laitier avait besoin de lui et, bizarrement, Howe se sentit empli de joie. Il se sentait vraiment utile et cela lui plaisait.
« Oh, mais bien sûr, répondit-il d'un air entendu. Tout ce que vous voulez, monsieur ! Je serais ravi de vous aider. »
Être privé de ses souvenirs ne signifie pas pour autant avoir tout oublié du civisme, et si Howe ne se souvenait pas du visage de ses parents ou de sa grand-mère, la politesse que cette dernière lui avait inculqué avec sévérité n'avait pas été complètement perdue. Monsieur le laitier avait avec lui quelques pots de sa dernière création, ceux qu'il destinait à ses clients sans doute, et il lui en proposait gentiment. Si Howe avait su qu'Atticus se cachait derrière cette proposition, il aurait été surpris et se serait demandé comment celui-ci s'était procuré une telle quantité de yaourt - tout en s'étonnant du risque que le jeune homme prenait en osant lui présenter son mets favori devant ses yeux, au risque de se faire démasquer s'ils n'étaient pas au goût de Howe. Mais il ne s'interrogea pas sur la question et refusa poliment l'offre qui lui était faite. Il est vrai que ces yaourts lui faisaient sacrément envie, mais il était un homme civilisé habitué aux privations : il ferait honneur au nouveau parfum lorsqu'il pourrait se les procurer de façon honnête.
« Je ne voudrais pas vous en priver, vos autres clients seraient sans doute contrariés s'il en manquait. » s'excusa Howe d'un ton qui cachait mal le regret qu'il ressentait à ce moment-là.
Qu'il est difficile d'être bien élevé. Écouter son laitier lui confier ses appréhensions était en revanche plus aisé. Howe se doutait bien que cet homme devait être sacrément diplomate pour se procurer certains goûts, ce qui ne faisait qu'augmenter le respect qu'il avait pour lui. Le voir se confier à lui sur ce fait lui fit prendre conscience d'à quel point toute guerre dans l'Enclave se révélerait absolument catastrophique. On pensait à beaucoup de choses, les pertes humaines, par exemple, les ravages causés par les batailles, mais qui pensait aux restrictions de nourriture ? L'idée était vertigineuse, car la famine était un fléau lui aussi meurtrier. Mais il garda bien sûr ces sombres pensées pour lui. Le pauvre laitier était déjà apeuré par les tensions entre Aquila et son camp véritable - tiens, d'ailleurs, serait-il prêt à braver le secret pour lui procurer quelque chose que Liontari détenait ? Probablement non. En tout cas, son laitier préféré était gêné par les rumeurs qui courraient ces derniers temps, et il demandait à Howe si elles étaient fondées. Voilà qui embarrassait bien le tapineur. Il ne pouvait confirmer ce qui se passait à Aquila - il n'y était pas, n'était pas tenu au courant de ce qui s'y passait puisque ce n'était pas son domaine d'investigation. Il pouvait donc reprendre les rumeurs à propos des bleus sans se trahir. En revanche, Howe en savait beaucoup plus sur les Liontaris que les journalistes d'Asvos étaient censés en savoir, et cela l'embêtait un peu. Sans compter que l'envie de rassurer son laitier en faisant taire toutes ses peurs se heurtait à l'obligation de garder le secret. Il devait jouer finement pour éviter de se trahir.
« Des rumeurs, comme vous dîtes, confirma finalement Howe avec aplomb. Vous savez, dans nos articles, on écrit beaucoup de choses qu'on ne vérifie pas, ou qui ne sont pas forcément vraies, mais qu'on écrit quand même parce qu'on ne sait pas quoi dire d'autre ou qu'on est trop pressés. Je ne m'inquièterais pas trop si j'étais vous : regardez, les clans organisent un tournoi à trois, si ce n'est pas bon signe, ça ! »
Howe se montrait volontairement optimiste : il ne voulait surtout pas que son laitier perde espoir et décide d'arrêter la production d'une variété qu'il appréciait beaucoup. Pour autant, il ne désirait pas mettre en danger la vie de l'homme le plus important de l'Enclave (à ses yeux), c'est pourquoi il s'approcha de lui pour lui murmurer à l'oreille :
« Mais s'il y a une rumeur en particulier que vous cherchez à confirmer, dites-le moi, je vous renseignerai. »
La substitution était si parfaite que Howe ne voyait pas Atticus derrière l'apparence de son laitier. Il croyait dur comme fer à cet air inquiet que cet homme censé être insignifiant et vulnérable lui offrait. Naturellement, cela lui donnait envie de le protéger comme il le pouvait. Howe n'était pas un véritable guerrier, il ne pouvait défendre quelqu'un d'autre que lui, mais il avait des idées et surtout des informations. Il était prêt à partager tout ce qu'il pouvait pour conserver la santé de ce cher homme. La part d'égoïsme qu'il y avait dans cet intérêt était évidente, bien sûr, mais il ne la jugeait pas mauvaise. Si elle l'amenait à faire du bien autour de lui, pourquoi la lui reprocher ? Il était prêt à tout dévoiler ou presque pour le bien de ce brave laitier. Mais ce que Howe n'avait pas prévu, et apparemment Atticus non plus, c'était la limite des informations que le faux reporter disposait jusque là. Très calme lorsqu'il écouta le faux laitier lui parler des disparitions, son visage s'affaissa lorsque ce dernier l'interrogea sur leur cause. Howe en fut si découragé qu'il laissa échapper un « ah » de dépit. Il n'avait tout simplement pas la réponse, juste quelques pistes qu'il hésitait même à évoquer à voix haute, tant elles lui paraissaient parfois absurdement tirées par les cheveux. Même le tapineur n'était au courant de rien. C'était dire s'il n'y avait rien à révéler. Atticus avait vraiment mal choisi sa question, car Howe ne pouvait pas se trahir avec elle. L'hésitation qui imprégnait sa voix n'était pas feinte lorsqu'il dit :
« Eh bien... vous me prenez un peu au dépourvu, je dois dire... je ne saurais quoi vous répondre. »
Il était même carrément embarrassé. Il devait avouer à son laitier que les journalistes ne savaient pas tout, qu'ils ne pouvaient découvrir tous les secrets, et assumer ses limites devant un homme qu'il estimait tant était pour Howe une terrible humiliation. Il aurait voulu pouvoir lui affirmer que personne ne s'en prendrait jamais à lui, que personne n'irait jamais s'en prendre à un laitier, mais il n'en était pas sûr, si incertain que son jugement en était altéré. Howe ne voulait pas le perdre, même s'il ne le connaissait pas personnellement, parce que cet homme faisait partie de sa vie, même s'il n'occupait qu'une place dans ses ombres, et que son absence causerait un vide qu'il aurait bien du mal à combler.
« C'est-à-dire, rajouta Howe, que je ne sais pas qui cause les disparitions. Ce n'est pas faute d'avoir enquêté, je vous assure, mais ces gaillards sont sacrément doués et ne laissent pas de trace. J'imagine que si quelqu'un a des informations les concernant, soit il les garde pour lui parce qu'il est leur complice, soit il a trop peur de parler. Dans tous les cas, je fais chou blanc, et mes collègues aussi. »
Un désolé effleurait les lèvres, mais Howe était trop honteux pour le laisser sortir. Il baissa les yeux avec gêne, incapable d'avouer à quel point il se sentait misérable à cet instant. Il n'avait jamais eu l'intention de sauver quiconque avec ce travail, il était devenu tapineur parce qu'il le pouvait plus qu'il ne le voulait, et cela ne l'avait jamais dérangé, mais parfois, il aurait aimé être capable de faire quelque chose pour quelqu'un d'autre.
Rien ne pouvait adoucir la déception qui faisait voûter le dos de Howe, pas même les paroles de consolation d'un faux laitier qui en fait ne l'aimait pas beaucoup. Howe avait failli dans ses deux métiers, le véritable comme le faux. Il ne s'en voulait pas forcer, ne se considérait pas comme un raté pour autant : il se disait simplement que ses échecs pouvaient parfois avoir des conséquences concrètes sur les gens qui l'entouraient. Et si le laitier disparaissait parce que Howe n'avait pas su le protéger, il devrait vivre avec cela sur la conscience - et pour une fois, cette faille le pèserait. Mais cela restait plus facile à supporter que la colère ou le mépris. Cette déception cachée derrière cette façade conciliante était quelque chose à quoi Howe savait faire face, du moins le pensait-il. Tout autre réaction négative lui aurait paru disproportionné. Il avait honte de lui-même, mais il ne s'apitoierait pas sur son sort. Il n'avait pas à être jugé. Il adressa un sourire de gratitude à son laitier pour sa patience, sans se rendre compte que le métamorphomage était déjà en train de l'entraîner vers la question suivante. Si Howe avait su que la personne dont parlait le laitier se trouvait en réalité juste face à lui ! Cela n'aurait pas forcément changé grand chose, puisque Howe n'avait jamais vraiment su lui tirer les vers du nez, mais il se serait sans doute amusé de l'ironie de la situation.
Howe ajouta un bien pour lui-même. Atticus. Dieu seul savait à quel point Howe recherchait ce qu'il avait à dire, et à quel point le principal intéressé le lui refusait. Howe n'arrivait pas à comprendre pourquoi. Il ne s'était, de son avis, pas montré trop insistant. Il était même certain d'avoir réussi à profiter son honnêteté et son professionnalisme avec brio. Mais Atticus ne lui faisait pas confiance pour autant. Il n'avait pas lâché la moindre information, malgré l'intérêt évident que Howe lui portait.
« Je crois qu'il ne m'apprécie pas beaucoup, fit Howe un rire dans la voix, car il n'a jamais voulu répondre à mes questions. »
Il ne semblait pas dérangé par ce refus, et à vrai dire c'était le cas : il ne prenait pas personnellement la distance qu'Atticus s'appliquait à mettre entre eux deux. Et puis, Howe avait du mal à croire que l'Asvos ne l'aimait pas. De son avis, il était simplement un peu timide, tout simplement. Sans compter que ce n'était pas son amitié qu'il recherchait : cette différence d'objectif le rendait étrangement peu sentimental. Même si Atticus le détestait du fond de son cœur, il saurait gérer.
« Mais il doit savoir quelque chose, c'est évident, reprit Howe avec sérieux. Mais peut-on comparer sa disparition avec celles qui se déroulent en ce moment ? Ce n'est pas sûr. Du temps s'est écoulé. Le nombre de personnes disparues a augmenté, et Lucius lui-même est du lot. Il peut y avoir un lien. Il peut ne pas en avoir. Nous ne le saurons pas tant que nous n'aurons pas compris l'énigme à laquelle nous faisons face en ce moment. »
Ceci dit, Howe haussa un sourcil suspicieux. Pourquoi le laitier pensait-il à Atticus en particulier ? Écoutait-il seulement les rumeurs, ou bien lui indiquait en toute discrétion d'aller le voir pour trouver des réponses ? Si c'était le cas, c'était le meilleur laitier du monde.
« Mais au fait, vous ne connaissez pas Atticus ? Il est à Asvos lui aussi, vous l'avez peut-être déjà croisé, en fait. »
Tout au long de la conversation, Howe s'était fait à l'idée que son laitier était quelqu'un de simple, à mille lieux des préoccupations politiques pour lesquelles les clans se déchiraient. Atticus jouait merveilleusement bien son rôle. Cette gentillesse dont il faisait preuve, travaillée jusque dans les moindres détails, était un formidable écran masquant la réalité. Il parvenait même à faire croire à Howe qu'Atticus ne le détestait pas tant que cela, mais qu'il se montrait méfiant en raison d'une probable difficulté à se confier. C'était en tout cas ce que le Chinois voulait croire du plus profond de son cœur. Ça, et la conviction qu'en dépit du vide de son identité, il n'était pas une personne détestable, qu'il n'était pas qu'un traître trompant ceux qui étaient le plus proches de lui. Mais ce dernier désir ne pourrait jamais être comblé par l'une de ses victimes. Howe était heureux d'avoir réussi à faire parler le laitier : il se sentait plus détendu lorsqu'il n'avait pas à se confier sur l'actualité. Réaction étrange pour un journaliste, il le savait, mais la crainte de trop en dévoiler se disputait avec celle de ne pas être à la hauteur. Très professionnel, Atticus glissa une allusion au fait qu'il n'aimait pas les produits laitiers, ce qui fit sourire Howe, qui se dit que c'était typiquement le genre de remarque que son laitier aurait fait. Au moins avait-il désormais la certitude qu'il ne devrait pas approcher sa cible par le biais de son pêché mignon, puisqu'il n'était pas partagé. Cela n'en rendait sa tâche que plus compliqué. Il pardonnait aisément à son laitier de ne pas en savoir plus sur Atticus - même s'il aurait espéré une info ou deux qui lui aurait permis de percer la carapace de sa troublante personnalité. Il secoua la tête avec douceur pour montrer que cela lui convenait. Il trouverait un autre moyen. Mais Howe eut plus de mal à rester impassible face à la (fausse) compensation dont son interlocuteur faisait preuve. Il aurait juré que ce dernier était sincèrement désolé du peu de résultat qu'il obtenait auprès de l'Asvos. Ah, s'il avait su...
« Le pire ne sont pas les supérieurs, confia Howe avec un sourire léger. Ce sont les collègues. »
Les véritables supérieurs de Howe - la pensée de Septima traversa son esprit - n'étaient pas le genre à lui mettre la pression. Howe avait même l'impression que Septima aurait souhaité le préserver davantage. Il se trompait peut-être. Il n'avait peut-être pas les résultats escomptés, mais il était assez utile pour ne pas être rabaissé.
« On est un peu en compétition, si vous voulez, expliqua Howe. On cherche tous à avoir le scoop que les autres rateront. J'espère sincèrement qu'aucun d'entre eux ne réussira à obtenir quelque chose d'Atticus, parce que vu l'énergie que j'y ai mis pour lui tirer les vers du nez, je me sentirais vraiment mal si je me faisais devancer. Bien... »
Et il y avait quelque chose de sérieux et de froid dans la voix de Howe lorsqu'il affirmait cette vérité - soupçon de toute la détermination indifférente et impartiale qu'il était capable de déployer pour parvenir à ses fins. Il piétinerait les autres si ça pouvait le rapprocher de sa cible. Sa cible. Il avait d'autres personnes à surveiller, bien sûr, et d'autres encore éveillaient sa curiosité par le mystère qui les entourait, mais aucun n'avait ce statut particulier qu'il accordait à cette cible particulièrement difficile. Parfois, Howe se disait qu'il aurait été encore plus simple de se rapprocher d'Ulrik et d'obtenir de lui ce que les Liontari voulaient. Mais si cette volonté d'acier avait pointé sous sa figure banale, un laitier n'aurait jamais fait aucune remarque là-dessus - mais Atticus l'aurait peut-être remarqué. Howe retrouva un air plus avenant lorsque son interlocuteur le remercia pour avoir apaisé ses craintes. Howe en fut tout de même un peu surpris : lui qui s'était trouvé particulièrement inutile tout au long de la conversation avait du mal à concevoir qu'il avait pu rassurer quelqu'un. Ses yeux étaient peut-être un peu trop exorbités pour être tout à fait neutres.
« Eh bien... c'est moi qui vous remercie, je n'ai pas souvent l'occasion de discuter de mon métier, alors ça me fait vraiment plaisir. » Il tendit la main pour saluer son laitier avant de se rappeler que celui-ci avait une cargaison à transporter. « Oh, bien, eh bien, je ne vais pas vous retenir plus longtemps, il ne faudrait pas que vos yaourts ne prennent chaud. Je repasserai à votre boutique demain. »
Howe aurait passé volontiers plus de temps à discuter, mais il savait son interlocuteur pressé, et il devait lui-même aller se préparer à manger avant de repartir pour une demi-journée de travail. Mais devoir se séparer ne le dérangeait : ils se reverraient le lendemain.