décidément, le charme de cet oiseau de malheur était sans limite.

sous l’exclamation de félice, ahn acquiesça avec vigueur, couvrant le compliment de validité : elle ne pouvait juger ses plumes ou ses yeux brillants, mais appréciait la mélodie de ses croassements heureux et son âme petite mais vivace. à l’habituel, la magicienne peinait à différencier les animaux par leur présence : leur aura était lunatique et changeante, comme du brouillard et de la vapeur, l’esclave de leurs émotions plutôt que de leurs histoires : mais celle du volatile était lourde d’expérience et d’identité. c’était un sentiment étrange - quelque chose clochait. mais elle était trop attachée pour risquer la méfiance.

la question de félice tira ses pensées vers un tout autre sujet, de toute façon : son passé. chose rare, les joues de l’aveugle s’empourprèrent alors qu’elle détaillait cette époque plus douce, gonflée par la fierté. elle sentit un respect soudain, qui n’était pas sien ; un égard nouveau qui ne venait pas d’elle, qu’elle attribua immédiatement à félice, aveugle à la révérence du corbeau. c’était un métier passionnant, oui. on y apprenait tous les ragots de l'enclave. une raison sans noblesse, mais elle n’avait pas besoin de dignité. j’avais un aperçu de la vie de tout le monde ici. et j’aidais à régler des problèmes - peut être pas directement, mais on allégeait les inquiétudes.

on.

c'était débordant parfois mais je... j'avais de l'aide. revint alors sa mélancolie, l'indivisble compagne de sa nostalgie. elle avait de l'aide, oui : et cette vérité au passé était déchirante. où était cette aide, maintenant ? où était celui qui lui avait promis que tous les clans du monde ne changeraient rien à leur amitié ?

enfin bref. on arrive. elle sentait l’âme impériale de septima à des kilomètres à la ronde. elle supposait que le pouvoir se ressentait jusque dans l’aura. un soupir, alors qu’elle comprit qu’elles arrivaient à la fin de leur mission. bientôt, elle remettrait le corbeau à leur impératrice, se salueraient l’une et l’autre, et tourneraient les talons.

d’un instant
à l’autre

... à vrai dire, je une hésitation. je ne suis pas à l'aise avec l'idée d'abandonner notre nouvel ami sans savoir ce qui va lui arriver. le plus simple serait d’entrer dans sa tente et de le lui confier, pour le découvrir : mais il n’y aurait pas de retour en arrière possible. la cruauté envers les animaux n'était pas le genre de septima, mais il y avait un arrière goût de trahison à toute cette histoire.

elle détestait cela : qu'on remarque sa mélancolie. elle était ahn - et  les titres se bousculaient derrière son simple nom. voyante ; assistante de graves, magicien disparu ; sorcière aveugle ; médicomage de talent. que d'éloges : et elle ne laisserait pas l'endeuillée s'y joindre, elle ne laisserait pas sa peine éclipser ses autres qualités. alors elle change de sujet, elle balaie son passé d'un soupir, de quelques mots sans importance. on arrive. ils pouvaient le voir : elle était la seule à déroger à cette règle.

alors elle ne relève pas les excuses de félice car le sujet est clos, enterré, et elle foudroierait du regard quiconque s'oserait à saisir une pelle.

le corbeau redevient le centre de la conversation et elle apprend que son équipière ne craignait pas la réaction de septima. ahn l'écouta avec attention, une main sous le menton, envisageant le pire comme le mieux, et se questionnant sur les raisons de leur impératrice pour tant désirer un si inoffensif animal. qu'il serait amusant qu'elle apprécie simplement la compagnie des corbeaux comme elles - mais l'idée lui était incongrue.

finalement, c'est la parole de félice qui la décide, même si elle ne peut s'empêcher de rire devant l'idée. elle imaginait déjà les nouveaux ragots de l'enclave - tu as entendu ? deux liontaris se sont fait exilées pour avoir tenu tête à leur chef -. cachant son hilarité derrière une main utile, elle se tourna vers le corbeau, prête à lui faire des adieux temporaires, et c'est alors qu'il s'agita.

elle le fixa avec des yeux curieux le temps d'un instant, parce qu'elle jurerait qu'il les comprend.

ahn savait que les corbeaux étaient des créatures intelligentes, d'où le culte qu'elle leur vouait, mais cela la dépassait un peu. déconcertée, elle s'approcha en murmurant : du calme, du calme. on ne va pas te faire de mal. et elles ne laisseraient personne lui faire du mal non plus.

un regard suppliant vers félice, puisqu'ahn craignait toujours de mal manipuler les animaux, surtout les plus petits. ultimement, elle pensa alors qu'elle caressait gentiment les plumes du volatile, qu'il parte ou qu'il reste, c'était du pareil au même pour elle. fi de la mission, tant qu'amour sucré venait leur rendre visite de temps à autre.

à force de mots rassurants et honnêtes, le volatile perdit de son agitation, et c'est avec un soupir contenté qu'ahn adressa un sourire à félice, sans cesser ses caresses sur le plumage de jais. au bout de quelques instants cependant, ses mouvements se firent plus lents pour finir par complètement se stopper : il était temps d'affronter le verdict de septima. allons y. dit-elle d'une voix pleine d'espoir, cherchant à se convaincre que tout irait bien.

d'une main décidée, elle écarta les pans de la large tente et se glissa à l'intérieur avec détermination. avant de dire quoi que ce soit, elle laissa le temps à félice de la suivre, car elle ne désirait pas faire son compte rendu seule, puis commença : on, euh... on a trouvé "amour sucré". ses mains se joignirent l'une à l'autre tandis qu'elle sentait l’anxiété monter doucement, mais elle poursuivit en faveur du volatile. les autres liontaris semblent s'y être attaché ? et je comprends pourquoi, c'est un gentil animal. son jeu d'avocat du diable sonnait avec trop d'évidence, mais elle s'en moquait.