Le nez dans l'assiette pour limiter le trajet de la cuillère à la bouche, Paco engloutissait tout ce qu'il avait sous la main, sans vraiment savoir exactement quoi. Et pour être honnête, personne n'aurait vraiment été surpris d'apprendre qu'il avait avalé une ou deux serviettes de table dans le tas. Pourquoi tant d'empressement à manger, me direz-vous ? Eh bien, plusieurs personnes ont essayé d'interroger le concerné depuis le début de la soirée, mais tous ont été incapables de distinguer un mot d'un autre à cause de sa bouche (un peu trop) pleine. C'est donc à moi que revient la tâche de vous mettre dans la confidence : monsieur a des plans pour ce soir. Des plans de s'en mettre plein la figure, jusqu'à puer la vinasse et plus marcher droit. Alors vous comprenez, il se remplit l'estomac pour mieux absorber l'alcool, il est prévoyant. Comment ça, manger c'est tricher ? Inconscients, ne lui dites jamais ça, il ferait une syncope.
Et puis, vous savez, après avoir passé la journée à manger des échantillons gratuits au marché, avec pour seule excuse que "c'est pas pour moi, c'est pour le château", il a faim le bestiau. Ca nourrit pas, les petits morceaux de fromage - même quand le marchand vous autorise à en prendre douze pour éviter vos irrésistibles puppy eyes. Et puis zut, hein, marcher ça donne faim, et il a marché jusqu'à l'auberge, alors il a bien le droit à une récompense, non ? C'est lui qui paie le repas de toute façon. Alors qu'il s'apprête à réclamer du rab, un habitué des Trois Gorgones ose l'interrompre dans sa dégustation gastronomique cinq étoiles en lui posant une main sur l'épaule.
- C'est pas elle ta pote, Glouton ?
Il se retourne dans tous les sens, à la recherche d'une "donzelle minuscule avec une tête de champignon", comme il l'avait annoncé à ses voisins de table. Ah ! Ca y est, il l'a repérée. Avec la délicatesse d'un troll, il se leva et se jeta vers elle pour la prendre dans ses bras dans une embrassade virile.
- FFAUFFETTE !!!
C'est d'un tourbillon de miettes et de postillons parfumés qu'il salue sa camarade de picole. Dieu merci, il avale sa bouchée avant de continuer à parler, et de lui indiquer la table où il l'attendait.
- Viens, chuis assis là ! Tu veux boire quoi ma vieille ?
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On ne peut pas dire que tu gardes de bons souvenirs des trois gorgones, bien que la majorité d'entre eux sont merveilleux. Une énorme partie, oui, sauf un. Le terrible incident du vomi, où tu t'es retrouvé à vomir sur les bottes de ton supérieur à moitié habillé, comme si de rien n'était, tout simplement parce qu'il t'avait fait avaler un verràcrasse. Magique. Grandiose. Dérangeant, aussi. Honteux. Sale. Crade. Tout ce qui te défini, en soit. Mais tu ne vas guère là-bas pour te rappeler cet étrange souvenir; ô non. Tu y vas pour voir quelque chose de sublime, du genre épique. Non pas la serveuse, mais Paco.
Paco que tu entends dès que tu pousses les portes. Parce qu'il est bruyant, Paco, mais tu l'es aussi. Et en une seconde à peine, tu te retrouves dans ses bras pour vous échanger l'habituel virilité que vous partagez. Et il t'offre même un peu de sa bave et de ses restes, quel gentil homme. Tu dis rien, t'as l'habitude. T'attends juste qu'il te lâche pour pouvoir t'essuyer le visage avec vivacité, avant de passer ce que tu peux de ton bras au tour de son épaule comme le ferait deux potes bourrés; sauf que tu es encore clean et que tu es trop petite pour atteindre le bout de son épaule. « Paco, Paco, Paco, Paco, Paco, Paco, Paco, Paco, Paco, Pa- » Tu reprends ta respiration alors que tu viens de spammer son nom, toute heureuse.
T’enchaîne limite sur un petit mouvement de danse où tes pieds claquent contre le sol et tes doigts claquent avant d'annoncer. « De la bière au beurre, ça m'rappelle ton odeur ! » Et c'est pas une insulte, ça, loin de là. C'est chaleureux, la bière au beurre, ça met du baume au cœur. Et Paco, il a cet effet de rendre les gens heureux, alors voilà, c'est un peu ça. T'espère qu'il le prendra pas mal; tu te doutes qu'il prendra que t'étais pas méchante, loin de là.
Tu t'assois en face de lui, et tu sens le regard de la table d'à côté se poser sur toi. T'es persuadée qu'il a casser les pieds de ces mecs, qu'il a du leur dit qu'il t'attendait ou autre. Tu le sais, tu le sens, tu le connais trop bien pour cela. Mais tu fais comme si ce n'était pas le cas, posant la question la plus importante de la soirée avant de boire. « Tu dors chez moi, à La Ruche ce soir ? » Parce que clairement, vous voyez mal faire 50 kilomètres jusqu'à Aquila si vous prévoyez de vous mettre une grosse cuite, donc autant utiliser le fait que tu vives chez les Asvos.
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