« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Les chuchotements des lecteurs se faufilaient jusqu’à tes tympans et, curieuse, tu écoutais en faisant mine d’être plongée dans la lecture d’un livre sur les sortilèges informulés. Leur conversation était basse mais tu as réussi à saisir le sens global. Ils parlaient de ce pub, Les Trois Gorgones. Bien que tu saches parfaitement où il se trouve, tu ne te rappelles pas y avoir déjà mis les pieds. Comme ils le vantaient si bien ces bavards parmi les bouquins. L’envie d’aller visiter cet endroit ne date pas d’hier pour toi, mais souvent elle s’efface et tu oublies. Aujourd’hui tu as l’humeur farouche petite Ange. Ce soir tu n’iras pas rendre visite à ton amie Olympe. Tu as presque l’impression de la trahir en allant voir la concurrence, mais elle ne t’en voudra pas. Ce projet en tête, tu continues de ranger les livres et de conseiller les curieux jusqu’à la fermeture.
Le pas décidé tu pars vers les Trois Gorgones. Tête en l’air, tu te perds en chemin, mais retrouves vite ta route. Presque apeurée quand tu passes la porte, l’endroit t’es si peu familier qu’il te paraît hostile. Pourtant tu sens que c’est un endroit plein de chaleur. Beaucoup ont commencé à emprunter la voie maltée à cette heure. Tu t’avances la gêne dans tes doigts qui s’emmêlent, mais tu réussies à te hisser sur une chaise du bar. Chance pour toi, une était libre. Tu attends que le barman te repère, tu lui tends quelques noises. Timidement, mais toujours avec cette politesse que tu traînes comme un boulet, tu lui demandes un verre de lait. Tu vois bien son air étonné et ce rire qu’il retient avant de s’activer pour te servir la boisson. Quand d’autres s’attachent à l’ivresse, toi tu rigoles habituellement avec eux en supportant leurs haleines disgracieuses. Mais cette fois il n’y avait pas de visage familier, personne avec qui rire et parler. Tu réfugies ton regard dans ton verre de lait, à croire que tu avais un chagrin à y noyer.
Il le connaît par cœur, ce pub. Celui-ci particulièrement, mais aussi les autres d’Ingary. En gros, n’importe où où l’alcool est accessible. Il sait, et il boit. Comme un sourcier qui se laisserait guider, non pas jusqu’à une source d’eau désaltérante, mais jusqu’aux vapeurs ambrées de la bière, jusqu’aux effluves de malt du divin whisky. Pur feu ou pas, d’ailleurs. Le problème de Léandre, c’est qu’il est arrivé à un stade s’il ne sait plus vraiment s’il aime l’alcool, ou s’il en a juste besoin pour avancer. L’addiction par l’habitude. Le réconfort chaud du liquide qui vient se distiller en lui, lui réchauffer le gosier et tout le reste, jusqu’à lui faire perdre parfois la véritable compréhension de ce qui l’entoure. Il sait que pour un soldat ce n’est pas la meilleure attitude à adopter, qu’un jour on lui tombera sur la gueule dans l’un de ces moments de vulnérabilité… il sait. Mais vu que ça n’a pas encore eu lieu, il se dit « on verra bien ». Il s’en fout.
Le jour, il sait être un soldat des plus sérieux, parfaitement alerte et à l’écoute, prêt à tout pour la bonne réussite d’une mission qui lui a été assignée. Mais dès qu’il n’est plus de services, ses travers reviennent avec force, l’ivresse en premier lieu. C’est pourquoi, sans grande surprise, il se retrouve ici, aux Trois Gorgones. Cet après-midi, il était de protection auprès d’un chargement de minerais provenant de la bordure à l’Est de l’Enclave. Le tout a rejoint sa destination sans entrave, et il en a profité pour faire une halte à Ingary, pour la soirée. La nuit, sans doute. Rien de mieux que les Gorgones pour cela. Et leur Old Firewhisky. Une valeur sûre. Il discute avec certains autres habitués attelés ça et là, il fait les yeux noirs à certains qui le dévisageraient avec trop d’attention. Il se perd dans les teintes ambrées du liquide. Il a délaissé sa veste d’uniforme, mais d’aucuns savent le reconnaître.
Attablé au comptoir, il est perdu dans ses souvenirs. Ceux d’ici. Ceux d’avant qu’il essaie de retrouver, sa main se posant machinalement sur son torse, là où, sous le tissu, se cache la bague. Le temps défile sans qu’il s’en rende compte, et c’est une petite voix non loin qui le sort de sa torpeur. Ses yeux bleu océan se lèvent et se posent sur la jeune femme, pleine de fraîcheur qui s’assied, toute proche, demandant… du lait ? Spontanément, Léandre tire la tronche. Il regarde tour à tour la gueule d’ange et le barman, qui s’en va tout de même la servir. Et la voilà, avec son verre de lait à la con.
Le blond se passe une main dans ses cheveux dégueulasses et souffle : « T’es sérieuse ? T’es face à l’un des meilleurs choix d’Ingary et tu trouves rien d’mieux à prendre que cette merde ? » Sa tête traduit toute son incompréhension.
« C’quoi ton problème, t’es pas sevrée ? T’es une môme ? » Peut-être qu’il a pas les idées parfaitement claires – et encore, la soirée n’est pas trop avancée – et même si elle fait jeune, elle doit être en âge de boire. Non vraiment, il comprend pas. « M'souviens pas, mais j’suis sûr que j’devais téter du Firewhisky, moi. »
« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Les gens parlent, s’agitent et participent à la chaleur ambiante du pub. Pourtant toi, ça te pèse d’être seule au milieu de ce monde. Mais, à peine tu trempes le bout de tes lèvres dans le ridicule verre de lait que tu te fais interrompre. Une voix presque agressive, presque insultante. Tu tournes la tête pour voir ton interlocuteur, il n’y a pas de toute, tu ne le connais pas. Il remet ici en cause ta boisson habituelle, ton dernier espoir de grandir de quelques centimètres ou plutôt millimètres. À ça tu ne sais pas vraiment quoi répondre. Ta bouche entrouverte et tes yeux ronds comme des billes traduisent ta surprise. T’as l’air d’une ahurie.
La suite de ses mots réussie à effleurer ton ego, « J’suis pas une môme ». T’as un regard de braise, plutôt timide, avec du bois mouillée parce que tu n’aimes pas la colère. On dirait que tu doutes avec ton pli pas naturel qui déforme ton front. Après qu’il ait baragouiné quelques mots de plus, tu penses qu’il est juste ivre. Mais s’il est la seule compagnie que tu peux avoir ici, tu la prends volontier. Les hommes saouls ne te dérangent pas. « Je n’ai juste jamais bu d’alcool » tu te détends un peu, tu fais mine d’être à l’aise. Toutes ces odeurs qui prennent le nez, tu y es habituée alors sans doute que tu dois apprécier le goût des liqueurs. Pourtant, jamais il ne t’est venu à l’esprit d’en demander et d’en boire. « Mais vas-y, dis moi quels sont ces meilleurs choix ? » début de curiosité qu’il l’a piqué à grand coup de fourche. Peut-être que tu vas boire ce soir. Comme une insulte faite avec gentillesse, tu le regardes tout en prenant une gorgée de ton verre de lait.
L’image qu’il peut donner, il s’en moque. Il sait qu’il est du genre à préférer l’ivresse aux trop grandes réflexions. Et dans l’immédiat, cette nouvelle venue lui donne de quoi capter son attention. Pas de chance pour elle, sans doute, mais c’est trop tard, le voilà complètement tourné vers elle, à l’observer de ses yeux clairs. Sobre, il l’aurait certainement trouvée touchante, avec ce côté presque paumé qu’elle affiche. Il aurait remarqué sa gêne, aussi. Cette pointe d’agacement affiché derrière les lunettes. Là… rien. Ne lui demandez pas d’avoir du tact. Il n’en aura pas.
Elle réplique, et il y a un rire qui s’écoule de ses lèvres. Il la fixe et mime presque sa moue. Lorsqu’elle reprend la parole, c’est l’incompréhension, à nouveau, qui habite le visage du blond. « … T’en as jamais bu ? C’possible, ça ? » Il se tourne vers le barman à qui il fait des yeux ronds, comme pour dire, tu l’entends ?! L’homme est trop occupé à servir d’autres types qu’il n’a sans doute pas entendu. A voir Léandre, pathétique Léandre, on dirait presque que c’est pour lui une question de vie et de mort. Comme une voiture qui n’aurait pas suffisamment d’essence pour avancer. Ça lui semble inconcevable. « Tu sais pas c’que tu rates ! » Qu’il souffle encore.
D’un point de vue extérieur, il n’y a aucune raison qui pousserait cette jeune fille à parler à un soiffard comme lui, qui présente un spectacle assez déplorable. Il n’en est pourtant pas au stade d’avoir perdu ses sens ou son attention. C’est ça le pire. Quand ça lui semble impossible de ne rien connaître de l’alcool, il ne feint pas. Il le pense vraiment. Et sans doute est-ce l’ivresse qui lui fait exprimer cela, sans filtre. Par chance, son interlocutrice a l’air joueuse. Ou… il ne sait pas bien. Il ne s’interroge pas vraiment sur ce qui peut se passer dans cette p’tite tête. Il entend juste sa question.
« Ah. Ma belle, t’es tombée sur la bonne personne ! » Voilà qui le requinque. Il finit cul sec son propre verre, le repose avec bruit sur le comptoir, et interpelle le barman, d’un claquement de doigt. « Hé ! La p’tiote veut tester… on va faire ça bien. Sers-nous ta pression. » Il scrute la jeune fille et précise. « La blonde. »
Et sans poser la moindre question, il pousse et fait tomber au sol le verre de lait, d’un revers de la main. « Et ça, ça dégage. Ça m’fout la gerbe rien qu’de regarder. » Trop concentré à servir, le barman ne réalise même pas le lait répandu en bas du comptoir. Ce ne sera sans doute ni le premier ni le dernier verre cassé de la soirée, mais quand même !
Rapidement, deux grandes pintes de bière sont servies devant eux, encore dégoulinantes de fraîcheur, avec pile ce qu’il faut de mousse sur le dessus. La pinte fait quasiment la tête de la jeune fille. Du doigt, Léandre en pousse une devant la binoclarde. « Vas-y. C’est moi qui offre. »
« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Un regard presque amusé, mais aussi un peu perdu. Tu ne pensais pas qu’il était possible d’être étonné que quelqu’un ait toujours été sobre. À croire que la vie dépend de cette substance pourtant poison. Ça ruine plus d’un organe de votre corps à trop en boire, mais jamais personne ne t’as claqué entre les doigts à cause d’une bière. Alors devant sa surprise tu hausses les épaules, parce que tu n’as jamais trouvé l’intérêt d’en boire et il faut dire que jamais on ne t’en a proposé. Mais ce soir dans ce bar différent, avec cet homme différent, tu avais peut-être envie d’y goûter finalement. Cet homme d’ailleurs, tu ne connaissais pas son nom. Pour l’instant ça ne te dérange pas, peut-être que tu lui demanderas plus tard.
Après ta demande, le voilà tout vif. Tu le regardes finir son verre, tu te demandes bien comment il fait, l’alcool avait l’air d’être assez fort là dedans. Enfin après tout il t’avait l’air plutôt de taille à supporter. C’est quand il demande une boisson au barman que tu réalises. T’avais pas demandé à tester, t’as la bouche qui s’ouvre comme quand tu sais pas quoi faire. T’avais même pas encore fini ton verre de lait. Pression, blonde, tu sais que ce n’est pas fort puisque certains appellent ça de la pisse. « j’ai pas fini mon lait » que tu chuchotes. Réponses rapide, un revers de main et ton verre se fracasse par terre, et permet au liquide de s’éparpiller auprès du bar. Tu jettes un œil vif au barman, puis tu regardes tour à tour le verre en miette et le blond. Le choc il se lit bien sur ton visage.
L’attention se tourne vite sur les pintes qui atterrissent devant vous. Et là c’est plus des billes que t’as à la place des yeux, c’est une exoplanète. « Tout ça ? » il le pousse vers toi. Oui, c’était tout ça. C’était énorme. Tu te demandais si tu allais devoir le boire cul-sec. Mais t’as pas osé, alors t’as juste pris le verre entre tes deux petites mains et t’as trempé les lèvres. T’as pris une gorgée en passant. T’avais des étoiles dans les yeux quand t’as reposé le verre. Tu étais définitivement bien trop habituée à l’odeur pour ne pas en aimer la boisson. Tu essuies la mousse qui trônait sur tes lèvres d’un revers de manche et tu te tournes vers l’homme. « C’est bon ! » grande surprise pour toi, tu avais toujours imaginé ça plus corsé, plus fort et trop dur pour ton gosier. Ça valait bien ton lait, mais ça t’allais pas l’avouer. Tu reprends une nouvelle gorgée. « C’est quoi votre nom ? »
Se dire que servir une pinte à une personne qui n’a même pas réellement réclamé de tester, c’est un peu violent, voilà qui ne lui viendrait même pas à l’esprit. Une pinte. C’est la base. Il faut être fou pour vouloir boire la bière autrement ! Et pas ces conneries de bièraubeurre servie aux gosses, le genre de truc bien trop sucré à te foutre la chiasse… Non non, une vraie bière. Même une blonde, des fois, ça remplace l’eau. De toute façon, Léandre, à la base, il est pas là pour s’interroger. Il est là pour s’enivrer, comme souvent. Oublier les trucs qui l’emmerdent. Essayer de se rappeler – vainement – de ce qu’il a oublié. Faire passer la soirée plus vite, en gros.
Non pas qu’il lui arrive jamais de faire des trucs intéressants le soir, hein, vous méprenez pas. Mais là, la mission l’a amené à sortir de la région du Nord, et Scar est pas là, donc boire seul, c’est un peu comme une mauvaise habitude qui lui revient mécaniquement. Toujours. Et puis, des fois il cause. Rien de bien passionnant, mais il n’est pas un mauvais bougre quand il boit. Peut-être juste un peu trop tactile, dirons-nous. En attendant, c’est cette jeune fille, l’air ahuri face à sa pinte, qui accapare son attention. A croire qu’il s’est donné pour objectif de la faire boire.
« T’inquiète, si c’est trop, j’finirais. » C’est pas un problème, ça. Il a stoppé net son geste de la main, fixe la binoclarde tandis qu’elle goûte le breuvage pour la première fois. Il en a les yeux tout brillants et il ne réalise même pas que l’attention qu’il met dans cette initiation est grotesque. Il n’est pas en état de s’en rendre compte. On dirait une mère oiseau qui scruterait son petit en train de sauter du nid pour s’envoler… un truc comme ça. Alors qu’il ne sait rien de cette gamine, et que concrètement, une fois réveillé demain matin, il se dira qu’il a été con. Comme souvent.
En attendant, il affiche un sourire béat lorsqu’elle redresse la tête, ses lèvres ayant à peine plongé dans l’énorme chope. « Bien sûr que c’est bon ! » A son tour, il lève verre et en prend goulûment plusieurs gorgées, avant de reposer le verre sur le comptoir en bois et de s’essuyer lui aussi d’un revers de la main. Elle le questionne ensuite, pour savoir son nom.
Enfin, son nom. Celui qu’on lui a donné en arrivant ici, quoi. « Léandre. » qu’il répond. « Toi ? » Il marque une pause, la scrute une nouvelle fois en silence et ajoute : « T’es d’Asvós ? »
« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Maintenant que t’as goûté si bon breuvage, t’as pas vraiment envie qu’il le finisse pour toi. Seulement tu te demandes l’effet que ça aurait sur ta petite tête de boire tout ça. Sans doute que ça ne serait pas beau à voir pour les autres. Mais il paraît qu’on ne se rend compte de rien. Tu en as vu des dépravés, tu n’as pas envie d’y ressembler. Mais tu sais aussi que ce n’est jamais au bout d’une bière qu’ils sont aussi touchés, alors tu peux t’en permettre au moins une. Au moins pour une fois, même si c’est avec un inconnu. C’est peut-être bien naïf de ta part de faire tant confiance à un homme à peine rencontré, mais c’est tout toi. Tu ne vois le mal que lorsqu’il se montre pleinement, le sournois aura toujours ta peau d’innocence. Aucune méfiance, tu ne voyais rien que des maladroites mais bonnes intentions.
Léandre, c’est un joli nom tu penses. Ça sonne bien. Il retourne la question, t’es plutôt souriante et ça se voix comme ça s’entend dans le ton que tu emploies « Ange ». Tu prends une nouvelle gorgée, tes joues vont finir par rosir bien vite. « ça se voit quand quelqu’un est d’Asvós ? » tu demandes ça sans arrière pensée, tu prends pas la peine de répondre clairement puisqu’il a deviné. Tu suppose qu’il y a une certaine aura pacifique qui en dit long sur le clan auquel tu appartiens. Tu serais plus rude si tu avais été chez les lions ? Ou plus hautaine chez les aigles ? Tu te demandes si ça a vraiment quelque chose à voir avec qui tu es. Dans un sens tu fais parti d’un groupe, mais tu t’en fiches, l’humain est l’humain. « Toi ? » tu bois peut-être un peu vite, c’est normal c’est la première fois. Tu ne te rends pas compte. Tu reprends une gorgée.
Lorsqu’elle lui répond, c’est à Léandre d’afficher un air bêta, pour le coup. « Ange ? » Il a un sourire. Pas forcément moqueur, mais presque automatique. « Ils ont pas trouvé mieux ? » Et même là, en disant ça comme ça, même un peu imbibé, il se rend compte que ça peut être mal compris. Alors il se rattrape. Enfin, il essaie. « Non pas qu’ce soit moche ou quoi… mais 'Ange'. Enfin. Ça t’va bien hein. Mais l’type qui t’a appelé comme ça d’vait être beurré ou pas avoir d’inspiration. » Il boit une nouvelle fois goulument sa pinte – autant dire qu’elle avance plus vite que celle de la jeune fille – et constate. « C’est même pas un prénom d’gonzesse, Ange. Si ? »
A croire qu’il pourrait débattre tout seul bien longtemps sur ce sujet. Parce qu’il poursuit. « Ou p’t’être qu’il croit qu’en t’appelant Ange, ça en fera venir dans ce trou paumé. » Lui, les trucs mystiques, c’est pas son kiff. Il sait pourtant que la magie va de paire avec bien trop de choses qu’on ne peut pas simplement voir pour les croire. Mais il a son côté terre à terre, Léandre. Il aime pas quand des trucs le dépassent, qu’il ne peut pas percevoir, saisir, ou à qui foutre une raclée quand y’a besoin. Non, les trucs psychiques, il aime pas. La divination, ça le flippe – mais il refuse de le dire à voir haute – et le premier legilimens qui voudra lui faire sa merde, il lui en fout une. C’est automatique. Alors ouais, les entités et tout l’bordel. Bof. Il a juste le sentiment que c’est le genre de trucs que s’inventent certains pour se réconforter. Se dire que leur situation a une raison, une origine.
Lui, il y croit plus. Il veut retrouver ses souvenirs, bien sûr… mais il y croit plus. Ils sont coincés ici, dans cette situation, et ils n’ont qu’à en tirer le meilleur profit. Ça servirait à quoi de se lamenter et rien foutre ? Enfin bon… il s’égare. Un peu trop d’ailleurs. Il constate aussi qu’elle reprend une gorgée. Elle doit apprécier, sinon elle y retournerait pas. Elle répond pas à sa question alors il sait qu’il a vu juste. Elle la lui retourne, d’ailleurs.
« J’suis dans la garde d’Aquila. » Il passe la main dans sa nuque, distraitement. Il rebondit sur sa première remarque. « Si t’étais du Château de Windamere, j’t’aurais déjà vue. Pis les lions, généralement, c’est des cons. » Raccourci bonjouuuur. « Les Asvós, ça va. T’as une bonne tête. Et on est à Ingary. » Lieu neutre, certes, mais le plus souvent habité par le clan d’Ulrik.
« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Drôle de tête que tu affiches. Tu ne sais pas comment réagir à son commentaire, toi il t’a jamais gêné ton prénom. c’est un « euh » magistral qui se fraye un chemin jusqu’à ta bouche. C’est pas toi qui l’a choisit ton nom. « C’est un prénom mixte, je crois. » t’as jamais bronché quand on t’appelait comme ça. Tu ne sais plus qui a commencé, mais tu sais que t’aimais bien. « Tant que j’m’appelle quelque chose, moi ça me va. » réponds-tu avec simplicité. On entame pas ta bonne humeur avec un petit commentaire, d’autant plus que tu es persuadé qu’il n’a juste plus de filtre à parole à cette heure là. Tu ne voyais pas en quoi ça pouvait attirer les gens, juste un prénom. Même si c’est un prénom comme le tient. Tu t’occupes pas du chemin des morts jusqu’au paradis.
Ignorante, tu choisis de retourner la question du clan à Léandre puisqu’il a deviné le tien. Tu souris quand il te dis ce qu’il fait, ce n’est pas si surprenant que ça. Il a la tête d’un duelliste, ou il aurait peut-être pu être un mercenaire. En tout cas tu ne l’aurais pas mis dans un domaine délicat. Tu laisses un gloussement t’échapper à son commentaire sur les lions. Ce n’était pas très gentil mais tu pouvais lui accorder que certains n’étaient pas des lumières. « Y a intérêt à ce que ça aille ! » tu fais mine d’avoir un ton autoritaire, ta langue se délie et ta timidité s’évanouit doucement. Tu reprends deux gorgée, t’en es presque à la moitié. « Y a des cons partout, même chez les Asvós » on va pas se mentir, c’est plutôt rare d’entendre le mot con sortir de ta bouche, mais il le sait pas lui. Peut-être que ça doit faire un contraste avec ta bouille petit Ange, mais ce soir tu t’en fiches.
Faut dire, elle a pas tort. Ici, tout le monde a des prénoms plus ou moins étranges. Certains s’en sortent bien – il se plaint pas de son Léandre – il sait plus qui a eu l’idée, mais ça lui va. D’autres ont franchement pas de chance – y’a une Chaussette, si si. Alors bon… pourquoi pas Ange ? « C’aurait pu être pire, c’est sûr ! » Du tact Léandre, du tact.
Enfin, en quelques gorgées, la discussion a déjà dévié sur les clans. Pour ce genre de sujet, il n’a pas vraiment de filtre Léandre, déjà qu’il en a assez peu sobre. Mais là, il sait qu’il a vu juste la concernant, c’est déjà ça. Et sa remarque vise là aussi juste. Il hoche la tête. « Ouais. Chez les Aquila aussi. Ça se saurait sinon. » Il est fidèle à son clan, ce n’est pas pour autant qu’il aura la bêtise de le définir comme étant le paradis sur terre. D’autant qu’il sait parfaitement que la logique de répartition des nouveaux venus dans les clans est plus due au hasard qu’à autre chose. Peut-être qu’il aurait pu finir chez les lions. Peut-être. Mais ça n’a pas été le cas et il a voué fidélité à Lucius et son projet. Il n’est pas de ceux qui retournent leur veste.
« Mais j’pense que proportionnellement, ça reste plus respirable que chez eux. » Alimenter ainsi la rivalité entre les clans est absurde, mais c’est devenu, d’une certaine manière, une source de motivation. Vaincre l’autre. Pour ne pas se lamenter sur leur immobilisme, sur ce mur, sur l’incompréhension quant à la disparition de Lucius. Chercher un bouc émissaire et continuer. Chez les duellistes d’Aquila, rares sont ceux qui pensent de manière aussi binaire, et Léandre sait que s’il se posait pour y réfléchir sérieusement, ce ne serait certainement pas contre les lions qu’il faudrait forcément gaspiller son énergie. Mais bon. Avoir un ennemi, ça le rassure. Presque.
« Et sinon, tu fais quoi d’tes journées, toi ? » Parce qu’il lui a assez facilement dit être soldat, mais elle… elle n’a pas une tête à combattre, à première vue.
« Tonight, we will be partaking of a liquid repast, as we wind our way up the Golden Mile. »
Bien sur que ça aurait pu être pire, certains ont des noms à s’en fendre la poire. Chaussette par exemple, tu l’aimes et c’est ton amie, mais il faut admettre que c’est spécial. Des biens drôles de blasons qui sont attribués parfois, mais l’originalité ne t’a jamais déplu. Si parfois elle t’amuse, tu aimes beaucoup croiser des gens aux noms abracadabrantesque. Leur nom ne peut qu’être le reflet d’une folie douce ou brute. Ton nom à toi, il te colle a la peau comme il y a pas, un nom qui s’accorde bien trop à tes traits de gamine.
Les idiots, tu sais qu’ils existent partout, tu leur pardonnes juste beaucoup trop facilement. Que Léandre le sache, ça te rassure, tu avais un peu trop peur d’avoir à débattre avec lui. Mais il faudrait être un idiot pour ne pas savoir ça. Tu réponds par un sourire et tu bois une plus grosse gorgée que les autres, celle-ci t’arrache une grimace, t’as chaud aux joues. « C’est vrai qu’on est pas très militaire comparé à eux » dis tu avec ce ton qui essaie de chasser le goût fort de bière qui avait envahi ta bouche trop vite. Tu regrettes un peu ton verre de lait au sol. « Moi ? » oui, pas le pape, tu penses juste que ta vie n’est pas assez intéressante pour se demander ce que tu fais. « Je suis documentaliste. » puis te vient à l’esprit que c’est peut-être un mot compliqué pour quelqu’un qui a prit un coup dans le nez. « Je range les bouquins et je conseille les gens à la bibliothèque » tu aimes ton métier c’est pas la question, tu penses juste qu’il y a plus palpitant dans la vie. Tu reprends une gorgée sans y penser, tu bois la bière comme tu pourrais boire ton verre de lait.
La pinte face à Léandre se vide à une vitesse hallucinante, il parle, il boit, il parle, il boit. C’est tellement machinal qu’il ne se rend même plus compte de ce genre de chose. Disons qu’il est du genre à apprécier parler, alors faut pas qu’il ait le gosier sec, quand c’est le cas ! Et la discussion l’inspire suffisamment en cela. La p’tite jeune a un côté agréable, elle ne s’est pas brusquée ou effrayée à l’idée d’être abordée par un mec comme lui. Et puis, il a tous les défauts du monde, mais certainement pas celui d’être un pervers envers les plus jeunes. Il papote juste. A sa manière.
Elle est marrante d’ailleurs parce que chaque gorgée de bière rosit d’autant plus ses joues de gamine et fait pétiller l’éclat dans ses yeux. Pas dit que Léandre le pense avec autant de poésie, mais c’est l’idée. « Ouais. C’est d’la connerie leur organisation militaire. Ils font ça pour faire croire qu’ils sont organisés. Mais que dalle ! » Bon, c’est pas tout à fait vrai mais c’est le duelliste Aquila qui parle. « Y’a pas plus gros bordel qu’chez eux. »
Il reprend une grosse gorgée de bière, s’essuie une nouvelle fois bruyamment d’un revers de manche et ajoute : « C’est pas avec leur gourdasse de Septima ou leur merdouille de Nabot qu’ils vont être crédibles. Ca pue l’chaos, chez eux. » C’est faux. Bien sûr que c’est faux. Si un tel portrait était une réalité, les Aquila n’auraient pas autant de mal à tenir tête aux Liontari. Il n’y aurait pas une rivalité aussi profonde si l’un des clans pouvait facilement prendre le pas sur l’autre. Et puis, il y a bien des experts stratégiques qui ont fait leur preuve chez les rouges. Mais c’est simplement l’ego de Léandre qui parle. Il les aime pas. C’est tout.
Il s’est emporté et il réalise à peine qu’elle lui a répondu. C’est lui qui lui a demandé et quand sa réponse raisonne dans ses oreilles, il prend une grande inspiration comme pour se calmer et il la fixe en silence. Avant de s’exclamer : « Bordel, ça doit être chiant ! » Comptez pas sur lui pour jouer les rats de bibliothèque. Certes, il sait lire, mais le strict minimum. « Tu dois pas prendre beaucoup l’soleil… c’est toi qu’as choisi d’faire ça ? Entourée de bouquins ? »
Les joues toutes roses, t’as l’oreille bien tendu pour écouter Léandre se plaindre des Lions. Toi ça te fait plus sourire qu’autre chose. Y a ce truc chez les ivrognes qui râlent qui te fait rire. Tu sais pas trop quoi, pitié ou simple innocence, t’arrives jamais à retenir ce sourire qui en dit long. Tu ne partages pas son avis, parce que tu sais comment ils sont les fauves. Tu vois bien à quoi elle ressemble leur organisation, de loin certes, à travers les livres sans doute. « Y aurait pas tant de gens là-bas si c’était autant le chaos, si ? » réponds-tu doucement, sans réelle arrière pensée ou sans la vigueur d’une politicienne. C’est pas le débat que tu cherches, c’est un peu plus comme si tu pensais à voix haute. « Ou alors les gens aiment le chaos. » c’était une autre possibilité, tu sais que certains aiment flirter avec.
Mais bon, quand la discution vire vers qu’est-ce que tu peux bien faire de tes journées ça se calme tout de suite. Du moins tu pensais, parce que sa réaction te fait prendre une moue boudeuse. Plus destinée à un coté comique qu’autre chose à vrai dire, parce que tu comprends qu’on puisse trouver ça ennuyant. « C’est moi » faut dire que la bibliothèque ça t’a directement tapé dans l’œil. Pas très longtemps après être arrivée t’es allée voir si y avait une place pour toi. « Mais je vois le soleil j’te jure ! Y a des fenêtres. » tu étouffes ton rire dans une énième gorgée de bière. Tu l’as bientôt fini. « Puis j’aime ça les bouquins, y a pas de soucis avec eux. » ils te parlent les livres, puis si t’aimes pas ce qu’ils racontent t’as juste à changer de page ou d’ouvrage. « Puis ça arrive qu’il y ait un peu d’action parfois, entre deux étagère, quelqu’un qui chuchote trop fort. » le ton était à l’ironie, mais le calme ambiant tu l’aimais. Presque autant que la chaleur des bars où l’ont ne distingue plus les conversations. Accrochée aux opposées. Tu prends les trois dernière gorgée de ta bière, tu t’essuies la bouche d’un revers de manche. Tu la descends bien trop vite ta pinte. Tu vérifies que tes lunettes sont bien sur ton nez parce que tes yeux te font des blagues.
S’il se lance sur le sujet des Liontari, il a pas fini. Pauvre Ange, elle a certainement mieux à faire que l’entendre radoter là-dessus. D’autant que ce qu’il annonce comme des vérités générales, ce ne sont jamais des arguments. Il ne laisse jamais place au débat. Pour lui ce sont des faits. Faux. Mais c’est ce qu’il pense, tristement. Son interlocutrice n’a pas idée, et elle répond, avec une douceur qui contraste fortement, d’ailleurs. « Ouais, voilà. Ça doit être ça. Les gens sont cons. »
Que répondre à ça ? Rien. Ça n’attend pas de réactions, derrière. Par chance, la discussion dévie sur un autre sujet, à savoir l’attrait de la jeune femme pour les livres. Quelque chose que le blond imagine assez mal. Ce n’est même pas qu’il n’est pas cultivé, ou qu’il ne croit pas en l’importance des livres… c’est simplement qu’il préfère laisser ça à d’autres. Il n’est pas du genre à parvenir à se concentrer face à un ouvrage, lui il est plus de ces gosses qui préfèrent se défouler au grand air. Il ne se souvient plus de son enfance, mais il sent au fond de lui que c’était bien quelque chose comme ça. Cette énergie à revendre, ce n’est pas un truc qui s’oublie.
Il ne feint pas la surprise quand elle lui répond. Même s’il sait que ça existe, imaginer quelqu’un qui veuille volontairement s’enfermer dans la bibliothèque, sous les couches de poussière, ça le surprend quand même. « Hé ben. » Elle a une légère moue et il continue de boire sa bière tandis qu’elle développe. « Si y’a des fenêtres alors, c’est déjà ça ! » L’ironie. Et toujours sur le même ton, il rebondit sur sa dernière phrase. « Oulaaaa, les gens qui chuchotent, faudrait les pendre ! » Et de partir dans un grand éclat de rires !
« Non mais bon, comme on dit faut de tout pour faire un monde, hein. Alors pourquoi pas des petiote qui s’enferme au milieu de bouquins ! S’ils sont là, faut bien qu’ils servent à quelque chose ! » Et encore, ça reste parfois à démontrer. Parce que jusque-là, les dingos des livres n’ont rien trouvé qui puissent les aider à sortir de là, ou à comprendre le Mur.
Et tout à son entrain, Léandre apostrophe de la main le barman : « Tu nous ramènes une assiette de charcut’ ? ». Il se tourne vers la jeune fille : « Boire, ça ouvre l’appétit. J’espère qu’en plus d’aimer les livres, t’es pas végétarienne, hein ! »
À son résumé bien rapide du clan militaire, tu ne peux que répondre un sourire ravageur d’innocence. Tu n’avais pas pitié ou peur de ces pensées, tu en as entendu des bien pire de gens bien plus alcoolisés. Il avait une folie douce et une ligne direct de ses pensées à sa bouche. Tu en étais presque envieuse, quoique toi non plus tu ne réfléchis pas toujours avant de parler. Ça ne risque pas d’aller en s’arrangeant ce soir, il faut le dire. L’alcool qui poudre tes joues et ton nez touchera bientôt ton cerveau de plein fouet.
Tu rigoles comme une enfant à ses remarques sur ton métier. Ça n’a rien de passionnant de surveiller des objets d’encre et de papier, du moins au premier abord. Mais toi, tu es en amour de ces allées de grimoire qui semblent si vieux mais qui ne datent pas tant. Plus jeunes que ce monde pour la plupart, les connaissances qui sont inscrites tu les bois plus vite que ton verre. « Tout comme il faut des piliers de bar ou des duellistes qui apprennent le goût de la bière aux bibliothécaires » que tu rétorques presque fière. Tu regardes ton verre vide et tu le pousses du coté du barman pour qu’il le débarrasse. T’as les pensées trouble et en même temps si claires.
Des étoiles dans les yeux, qu’est-ce que t’as faim. « Pour sûr que je mange de la viande ! » même si tu aimes ça, tu n’en abuses pas non plus. Tu aimes la garder comme un mets precieux, que tu peux savourer comme il se doit en temps voulu. Ce temps est arriver puisque ton estomac réclame. Mais ta vessie insiste et pousse pour faire de l’espace « Je reviens » dis tu en laissant Léandre le temps d’aller te soulager.
En à peine cinq minutes tu étais de retour, à te hisser sur le tabouret presque aussi grand que toi.
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